dimanche 8 février 2015

Madame C

Madame C est la patiente que l'on redoute chaque jour. Celle qui apparaît dans nos cauchemars la nuit. C'est le père fouettard des secrétaires médicales. Si l'enfer existe, la secrétaire médicale y sera enchaînée, avec un téléphone collé sur l'oreille, recevant appel sur appel de Madame C.

Moi : "Cabinet médical, bonjour."
Patiente : "Oui, c'est Madame C."

Là vous savez. Vous sentez au plus profond de vous même que votre journée pourrait basculer dans l'horreur. Vous n'avez pas eu le temps d'habiller votre armure, car vous n'avez pas eu le bon sens d'enregistrer le numéro de Madame C dans votre téléphone.

Madame C : "Allo!?"

Vous ne pouvez plus reculer.

Moi : "Oui, bonjour Madame C..."
Madame C : "Je vais prendre un rendez-vous, c'est pour remplir un dossier de MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées")."

Madame C ne dit jamais "bonjour" au téléphone et n'utiliserait certainement pas des formules de type "s'il vous plait" ou "merci" avec une secrétaire médicale.

Moi : "Très bien, ce sera pour qui le rendez-vous?"
Madame C: "A votre avis! Vous croyez quand même pas que c'est pour moi?"
Moi : "Euh... donc je met le rendez-vous au nom de...".
Madame C : "Eh bien N....  évidemment!" (une de ses enfants d'accueil, dont il m'était impossible de savoir qu'elle souffrait d'un handicap).

Madame C prend plaisir à vous rabaisser. A vous signifier que non seulement vous êtes incompétent, mais que de surcroît votre statut de secrétaire médical fait que votre valeur en tant que personne est proche de celle d'un étron.

Moi : "Comment est votre emploi du temps cette semaine?"
Madame C : "Qu'est-ce que ça peut vous faire?"
Moi : "Pardon, c'est juste pour vous proposer un rendez-vous qui pourrait vous convenir au mieux."
Madame C : "Je m'en fout, n'importe quand!"

Quoi que vous disiez, Madame C répondra toujours brutalement.

Moi : "Donc on a qu'à dire mardi à 17h ?"
Madame C : "Ah non non non, ça va pas du tout ça (pour X raisons)!"
Moi : "Alors mercredi matin ?"
Madame C : "Non plus!"
Moi : "Alors le vendredi, disons... 15h ?"
Madame C : "Non!!"
Moi : "Madame C, pourriez vous me proposer une date et un horaire susceptible de vous convenir? Je ferais alors de mon mieux pour vous proposer un créneau."

A la fin de la conversation vous poussez un long soupir de soulagement. Tout s'est parfaitement passé car vous avez réussi à satisfaire Madame C. Vous aimeriez raconter cet exploit à vos amies secrétaires médicales, mais vous n'en avez pas.

Samedi

Les consultations du samedi après-midi sont réservées aux "urgences". Comprendre : grippe, gastro, blessures etc... en sont donc exclues les demandes de certificats d'aptitude au sport et les renouvellements d'ordonnance. Le samedi matin je ne suis pas au cabinet, donc les rendez-vous sont pris par une plateforme téléphonique basée au Maroc. Les secrétaires y ont pour consigne de demander le motif de la consultation afin de s'assurer que c'est bien urgent. Tous nos patients renseignent la secrétaire du motif de la consultation. Tous sauf...

En arrivant au cabinet je consulte le planning. Voyant le nom de Madame C (et passé un bref moment d'angoisse) je clique sur le rendez-vous pour en vérifier le motif. En lieu et place du motif il est écrit:

"cela ne me regarde pas car je ne suis qu'une secrétaire"

Je reconnais bien notre Madame C. Dés son arrivée dans mon bureau, sans dire bonjour, Madame C commence à déblatérer sur le secrétariat téléphonique, utilisant des formules comme: "inadmissible!", "on est où là!", "c'est pas possible!".
Je prends mon courage à deux mains, lui coupe la parole et lui demande de s’asseoir et de fermer la porte. Je lui explique calmement pourquoi la secrétaire lui a demandé un motif.

Madame C : "Non! Hors de question que je lui dise quoi que ce soit, ce n'est qu'une secrétaire!"
Moi : "Je regrette mais c'est le fonctionnement du cabinet et il va falloir vous y plier si vous voulez un rendez-vous le samedi."
Madame C : "Mais qu'est-ce que ça veut dire! Je n'ai pas à parler de ma santé avec une simple secrétaire, non mais quand même!"
Moi : "Si, et je vous demanderai de le faire avec un minimum de courtoisie. Ce n'est pas correcte de parler aux gens de cette manière!"
Madame C : "Hors de question! Il y a le secret médical et je ne suis pas obligée!"
Moi : "Ça n'a rien à voir avec le secret médical, et oui, je le répète, vous devez communiquer un motif à la secrétaire. De toute façon je peux vous assurer qu'elles n'en ont rien à carrer de savoir que vous avez une infection urinaire ou un panaris sur le bras."
Madame C (offusquée) : "Ah bin c'est gentil pour moi!!"

J'apprendrais un peu plus tard que Madame C est venue pour un certificat d'aptitude au sport.

Le bouquet

Madame C m'appelle, un vendredi soir à 21h30. Je suis au secrétariat depuis 10h du matin.

Moi : "Cabinet médical, bonsoir."
Madame C : "Oui, c'est Madame C, Je veux un rendez-vous vendredi prochain dans l'après-midi, c'est pour un arrêt de travail, et il faudrait qu'il débute ce lundi (pour X raisons en rapport avec ses enfants d'accueil), comment ça se passe?"
Moi : "Il me semble que l'arrêt ne peut débuter qu'à partir de la date de la signature du docteur, donc la date de la consultation."
Madame C : "Et le docteur, il sait pas lui?"
Moi : "J'imagine que oui, mais il est en consultation là."
Madame C : "Bon, alors donnez moi un rendez-vous pour demain (samedi)."
Moi : "Madame C, vous savez que les rendez-vous de samedi sont réservés aux urgences et qu'il faut téléphoner le jour même. De toute façon le cabinet est fermé demain, il n'y aura pas de consultations."
Madame C : "Alors donnez moi un rendez-vous en urgence pour samedi prochain."
Moi (en esquive) : "Je ne sais pas encore si on sera ouvert samedi prochain, et pour le samedi il faut téléphoner le jour même, vous le savez."
Madame C : "Eh bien c'est pratique ça!"
Moi : "Dans tous les cas, si vous estimez avoir besoin d'un arrêt de travail je ne peux que vous conseiller de consulter un médecin demain, ou vous rendre aux gardes d'urgence dimanche matin."
Madame C : "Ah non non non, c'est lui mon médecin et je ne vois pas pourquoi j'irais en voir un autre. De toute façon ils n'accepteront jamais de me signer un arrêt de travail."
Moi : "Donc vous admettez que vous n'êtes pas malade et que vous demandez un arrêt de complaisance. En quel honneur le docteur devrait l'accepter? De toute façon je viens de vous expliquer qu'il n'y a pas de place donc, si vous êtes vraiment malade, il va quand même bien falloir consulter dans un autre cabinet."
Madame C : "Ah non non non, hors de question! Vous imaginez, il faudrait que je répète une nouvelle fois tout ce que j'ai déjà dit au docteur!!"
Moi : "Malheureusement je n'ai rien d'autre à vous proposer."
Madame C : "Vous allez me donner un rendez-vous avec le docteur vendredi et puis c'est tout. Je ne vais pas aller voir un autre médecin."
Moi : "Je vous ai déjà expliqué trois fois que ce n'est pas possible! On ne va pas y passer la nuit!"
Madame C : "Ça suffit! Vous allez m'écouter! Vous n'êtes pas médecin! Au plus, vous êtes le secrétaire, ou l'associé, le... enfin je vais pas rentrer dans les détails, vous voyez ce que je veux dire (Oui, son compagnon, c'est trop difficile à dire?), et vous commencez à me sortir par les trous de nez. Vous vous prenez pour qui à parler aux gens comme ça?!"

C'est bien la première fois que je raccroche au nez d'un patient.

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